Chapitre XII

— Maho ? Maho ? répétait Mur, tout songeur. Non, ça ne me dit rien. Mais d’ailleurs Maho, ce n’est pas un nom de souris !

Il y eut un grand silence, pendant lequel chacun médita, ou rêva, ou encore se reposa.

Maho lâcha la noisette à moitié grignotée et déclara :

— Écoutez, Mur et tous les mulots, écoutez-moi bien ! Mon histoire est peu croyable et pourtant, il faut me croire. Votre roi Mur avait raison de penser que j’étais étranger à votre monde. Cependant, depuis hier, je suis au milieu de ce pays et j’en connais la montagne, la forêt et le lac. Mais vous ne m’aviez pas remarqué.

 

 

Mur prit une mine incrédule.

— Je suis très étonné, Maho, par tes paroles, dit-il. Si tu étais dans ce pays depuis hier, comme tu l’affirmes, nous le saurions à coup sûr. Nous sommes nombreux, nous allons partout, nous connaissons les endroits les plus secrets, les passages les plus étroits, les retraites les plus cachées, et nous savons nous transmettre les uns aux autres toutes les nouvelles en un instant. Comprends-tu, cela nous est nécessaire face aux dangers qui nous menacent. Comment veux-tu que nous ne t’ayons pas vu, alors qu’un animal plus petit que toi, un hanneton ou un papillon par exemple, ne pourrait être ignoré de nous. En effet, ton histoire est peu croyable.

Tous les mulots, groupés autour de leur roi, dardaient les mille regards de leurs yeux saillants sur Maho, d’un air réprobateur.

Maho reprit :

— Mes amis, écoutez-moi jusqu’au bout, avant de rien conclure. J’étais bien là, et si vous ne m’avez pas vu, ce n’était pas par mégarde ou inadvertance, mais parce que je n’appartenais pas à votre monde minuscule. Avant de venir vers vous, j’étais un géant !

Les mulots hochèrent d’abord la tête. Puis la question fusa de toutes parts : qu’est-ce que c’était, un géant ?

Mur voulut donner des éclaircissements et ainsi rassurer les siens :

— C’est très difficile à expliquer, commença-t-il. Un géant, à ce que je crois savoir, est un être qui vit dans un espace qui n’a pas du tout nos dimensions.

L’exposé débutait mal. Les mulots n’y comprenaient rien.

— Enfin c’est simple ! reprit Mur. Imaginez que vous soyez chacun un géant. Vous apercevez un mouton. Vous vous dites : tiens ! voilà une fourmi…

Les choses se compliquaient. On discuta longuement sans parvenir à comprendre comment il était possible de confondre fourmis et moutons.

Alors Mur, le roi des souris des bois, crut fournir une précision particulièrement éclairante :

— Un géant, dit-il, en voyant une coulemelle croit que c’est un parasol.

L’explication était désastreuse. Pendant un grand moment, ce fut un brouhaha indescriptible, où se mêlaient champignons, fourmis, géants, parasols et moutons. Chacun croyait détenir la vérité et personne n'écoutait personne.

Le roi Mur rétablit enfin le calme.

— Je vois que je me suis mal exprimé, reconnut-il bonnement. D’ailleurs, jusqu’à aujourd’hui, je croyais que les géants n’existaient pas. Pour ma part, je n’en ai jamais vu. Mais, si Maho nous affirme qu’il y en a dans le pays, je suis tout prêt à lui faire confiance.

— Il y en a un seul, fit Maho, et c'est moi !

Le chicotement de tous les mulots reprit de plus belle : Maho est un géant, soit ! Mais alors tous les mulots sont des géants puisqu’ils ressemblent tous à Maho comme des frères.

— Nous nous nommons déjà mulots et souris des bois, s’écrièrent plusieurs d’entre eux, dominant le tumulte. Nous pouvons encore nous appeler géants ! Vive les géants !

Le débat s’embrouillait de plus en plus. Maho se dit qu’il ne parviendrait à rien en exposant son histoire devant tous les mulots assemblés. Aussi pria-t-il Mur de s’écarter avec lui, pour un entretien en tête-à-tête.

— Ni toi, dit Maho, ni les tiens, vous n'avez pu me voir hier et ce matin parce que j’étais trop grand. J’étais plus haut qu’une montagne et je n’aurais moi-même pas eu idée de votre existence, si Miny ne m'avait parlé de vous cette nuit.

Au nom de Miny, les yeux de Mur, le roi des souris des bois, s’animèrent de joie.

— Quelle brave enfant, fit-il, si courageuse et dévouée à ses amis ! Ainsi, tu sais aussi qui est Miny !

— Bien sûr ! Et, lorsque je t’ai rencontré, j’ai été éberlué de voir quelqu’un que je connaissais sans connaître. Cela m’est déjà arrivé, sais-tu, pour tous les habitants de ce pays : Je ne les découvre pas, il me semble au contraire à chaque fois les retrouver !

— Tout ceci est bel et bon, répondit Mur. Mais me diras-tu comment tu peux être à la fois géant et souris, dépasser les montagnes et me ressembler en tous points ?

Maho prit un air pensif et mélancolique.

— Cela vient, je crois, justement de ma taille et de ma masse. J’ai vite senti que, dans ce pays, je gênais, j’encombrais. J’ai pourtant tout fait pour ne rien écraser et me rendre le plus léger possible. Ainsi, cette nuit, j’ai pris un repas de lune particulièrement copieux. Car les rayons de lune ont sur moi, quand j’en absorbe une quantité suffisante, un effet subtil, éthéré… C’est une nourriture de lumière et d’espace. Elle allège, affine, me permet de m’élever et de danser sans peser de tout mon énorme poids. Mais cela n’a pas suffi à me faire accepter…

Et Maho baissa tristement la tête. Mur ne comprenait pas toutes les paroles de son ami, mais il sentait combien son chagrin était profond. Aussi posa-t-il sa patte affectueusement sur l’épaule de l’ancien géant.

— Mais enfin, qu’est il arrivé ? demanda-t-il.

— Eh bien, je me suis grandement trompé, répondit Maho. Je pensais que Fred et Mina, que Ré et Réba, la fée Lihi, Lulu… étaient mes amis. Je riais, je plaisantais avec eux. Or, en vérité, ils voulaient me duper.

— Que veux-tu dire ? fit Mur, que l’émotion gagnait. En quoi as-tu été dupé ?

— J’ai souhaité faire ma toilette au bord du lac. J’avais longtemps voyagé pour venir dans votre pays. Il faisait chaud et il était bon que je me rafraîchisse. Je suis donc allé au bord de l’eau et j’ai commencé mes ablutions, en prenant bien garde à ne pas trop agiter le lac. Je les ai alors entendus m’appeler : sans doute voulaient-ils distraire mon attention, car, au même moment, la fée Lihi a brandi vers moi sa baguette magique, dont j’ai aperçu un instant l’étoile étincelante. J’ai senti une sorte de coup, qui m’a fait perdre l'équilibre et tomber à l’eau, et quand j'ai retrouvé mes esprits, j'étais changé en souris ! Heureusement mon ami Huch le saumon veillait et, me voyant qui me débattais dans le lac, il a tiré jusqu’à moi une barque légère, sur laquelle j’ai pris pied.

Mur garda quelque temps le silence.

— Étrange histoire, murmura-t-il enfin. Écoute, Maho, je connais mal et seulement par ouï-dire tous ceux dont tu me parles, à l’exception de la fille de Fred le nain, Miny, qui est notre meilleure amie. Il faut la retrouver, elle saura nous expliquer ce qui s’est réellement passé. Ne te désole pas ainsi…

— Oh ! n’aie crainte, fit Maho. Je ne me désole pas du tout !

Et il prit un air crâne et enjoué.

— Crois-moi, répéta Mur, le roi des mulots. Miny ne peut tromper personne, ni mentir. Je suis absolument sûr d’elle. Allons tout de suite vers elle !

— Et comment ?

— À cette heure, elle doit être avec les siens dans la maisonnette de la clairière. Je sais le moyen de m’introduire… – ou plutôt, tu entreras toi-même. Je te montrerai le passage secret : c’est un trou de souris, presque invisible, que j’ai creusé à l’angle du plancher.

L’un guidant l’autre, les deux amis cheminèrent en direction de la clairière où se dressait la maisonnette. Ils écoutèrent attentivement les bruits qui venaient de l’intérieur et tinrent en chuchotant un dernier conciliabule. Enfin Mur fit pénétrer l’ancien géant dans la demeure de Fred le nain, de Mina et de leurs enfants.

Une fée sans baguette
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